L’étude de cas sur la guerre de l’information vécue par Perrier est un bon exemple de la manière dont une entreprise peut être la cible d’une campagne de désinformation, orchestrée par des concurrents.
Une entreprise au sommet de sa gloire
En 1990, Perrier est au sommet de sa gloire. La marque est présente partout : à la télévision, dans les événements sportifs… Les ventes connaissent une augmentation de 20 % par an, à tel point qu’une nouvelle ligne de production doit être construite pour répondre à la demande. Aux Etats-Unis, elle détient même 25 % des parts du marché de l’eau gazeuse.
Perrier est aussi le distributeur exclusif de PepsiCo en France et vient d’obtenir une licence exclusive pour l’Europe.
Une erreur humaine exploitée et manipulée
Au début des années 90, un laboratoire de Caroline du Nord aux Etats-Unis trouve des traces de benzène dans certains échantillons de bouteilles de Perrier.
Si les bouteilles impactées sont américaines, l’erreur viendrait de France, du site de production de Vergèze dans le Gard.
A l’origine : un retard dans le changement d’un filtre. Celui-ci, habituellement changé tous les six à huit mois, n’est pas remplacé dans les délais, laissant passer une quantité infinitésimale de benzène dans l’eau. Au total, 13 bouteilles sont impactées.
Comme l’explique Violaine Appel dans son article scientifique « Perrier : la mise en système médiatique d’une crise » (2012), « la présence, parmi les employés d’un « agent » au service de la concurrence donnera une toute autre importance ».
L’erreur humaine est donc identifiée et exploitée. Les médias s’emparent du sujet, suggérant même un risque pour le consommateur (Appel, 2012).
Pourtant, la Food and Drug Administration valide l’innocuité des traces de benzène.
Si les risques sont quasiment nuls pour la santé, l’impact est énorme pour la marque… qui s’est construite autour de l’image de pureté.
Emballement médiatique
Selon Pascal Jacques-Gustave, auteur de « Guerre et contre-guerre de l’information économique », les actions de guerre de l’information économique « ne prennent une importance destructrice que par la mise en système médiatique ».
Violaine Appel poursuit : « Il s’agit de provoquer un événement ou un incident nuisible à l’entreprise cible et d’en assurer la publicité par les canaux médiatiques. Plus que l’incident, c’est sa médiatisation qui causera le plus de dommages » (2012). C’est justement ce qu’il se passe ici.
Des conséquences immédiates
Immédiatement, les ventes sont suspendues dans de nombreux pays. Le chiffre d’affaires de l’entreprise chute de 70 % aux Etats-Unis, 60 % au Royaume-Uni et 50 % au Japon.
L’accusation va plus loin : Perrier aurait dissimulé l’ampleur de la crise sanitaire.
En parallèle, les ventes du titre s’écroulent à la Bourse de Paris, entraînant même une suspension de la cotation. Des rumeurs évoquent, de plus, un délit d’initiés lors de la chute de la cotation en bourse, démenti ensuite par la Commission des opérations boursières.
Le président du groupe, Gustave Leven, prend une décision radicale : retirer toutes les bouteilles du marché. Et ce, partout dans le monde. Près de 200 millions de bouteilles sont ainsi retirées des linéaires à travers le globe.
C’est la première fois qu’une entreprise prend une telle décision.
Le directeur général de l’époque, Frederick Zimmer, déclare : « Nous ne voulons pas laisser le moindre doute sur la sincérité de la société Perrier. »
En interne, la crise se traduit par plusieurs vagues de licenciements. Résultat, en 5 ans, le site de Vergèze perd 1/5ème de ses effectifs.
Redorer son blason
L’entreprise réagit d’abord par une stratégie de communication défensive et mise sur la transparence ainsi qu’une information pertinente, argumentée et vérifiable.
Gustave Leven prend la parole. L’usine du Gard ouvre ses portes aux journalistes. Un seul porte-parole est choisi pour transmettre les messages de l’entreprise et limiter tout risque.
Le retrait des bouteilles permet d’anticiper les réactions des consommateurs et crée la surprise.
Plus tard, le retour de la marque se fait par la télévision via une campagne publicitaire axée sur la proximité, le terroir et la pureté.
Malgré tous ces efforts, les ventes s’écroulent et l’entreprise aussi.
Pendant ce temps-là, Nestlé lance une OPA pour racheter le groupe fragilisé, devenant ainsi le numéro 2 mondial des eaux en bouteilles.
Une campagne de désinformation orchestrée ?
Toute cette campagne de désinformation serait en réalité orchestrée et pilotée.
Selon le rapport « Comment les Etats-Unis contribuent-ils à affaiblir l’économie française » de l’Ecole de guerre économique, l’attaquant serait… Coca-Cola : « Coca-Cola aurait orchestré cette attaque sur le marché américain pour affaiblir Perrier sur ce territoire. Mais Coca-Cola ne pouvait racheter Perrier aux Etats-Unis sans courir le risque de tomber sous le coup des lois Anti-Trust, et donc s’allie à Nestlé pour se répartir les zones géographiques et les segments de marché : à Nestlé, les eaux gazeuses aux Etats-Unis et à Coca-Cola les soft drinks en Europe, face à son concurrent PepsiCo ».