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Qu’est-ce que l’agnotologie ?

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fabrication de l'ignorance et du doute

L’agnotologie est la production stratégique de l’ignorance. Si le terme remonte au 19ème siècle, il est démocratisé en 1992 par Iain Boal puis Robert N. Proctor.

Dans « Never let a Serious Crisis Go to Waste », Mirowski explique que l’ignorance repose notamment sur trois phénomènes : « la non-connaissance (…), l’occultation de certains enjeux de recherche (…) et la production intentionnelle d’ignorance. » (Girel, 2018).

C’est ce dernier volet qui a particulièrement intéressé Proctor (Girel, 2018). Selon lui, l’ignorance n’est pas seulement l’absence de savoir mais une arme utilisée par les acteurs publics et privés, afin de promouvoir des intérêts privés au détriment de l’intérêt général.

Dans son livre « Agnotology, the making and unmaking of ignorance » paru en 2008, Robert N. Proctor, professeur à l’université de Stanford, explique que l’agnotologie consiste à créer l’incertitude, la confusion, le silence, le doute en utilisant la censure, la désinformation, la négligence, la suppression, la destruction de documents, l’oubli… (Proctor, 2008)

L’ignorance peut aussi être produite et maintenue par le secret (comme le secret défense). Par exemple, les GPS n’indiquent pas certains endroits pour des raisons de sécurité (Proctor, 2008).

On peut aussi citer le rôle des médias et des discours qui réfutent des thèses pourtant exactes (Proctor, 2008).

Dans le domaine scientifique, il s’agit de ne pas poursuivre des recherches dans tel domaine (Proctor, 2008).

L’ignorance peut donc résulter d’un choix stratégique. Et elle ne date pas d’hier. Au Moyen-âge, certains peuples savaient éviter les grossesses indésirables (Proctor, 2008). Mais au moment de la colonisation et de la nécessité de peupler certains territoires, ce savoir a été volontairement perdu (Proctor, 2008).

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La fabrication du doute par les industriels

Proctor s’est particulièrement intéressé à la fabrication du doute par les producteurs de tabac. Il montre comment les industriels ont produit de l’ignorance sur les cigarettes et caché leurs effets néfastes sur la santé. « Les cigarettiers ont financé pendant au moins quarante ans de la recherche « contraire » destinée à infirmer l’épidémiologie existante ou à en attaquer la solidité statistique. » (Girel, 2017).

Pour vendre, l’industrie du tabac a d’abord utilisé les relations presse et la publicité, et a associé la cigarette à la jeunesse, à la beauté, à la liberté, au risque, à la rébellion… Fumer était une façon de s’affranchir, à l’image des suffragettes. (Proctor, 2008).

Puis, l’industrie a financé de nombreuses recherches, études scientifiques, comités de chercheurs, recherches scientifiques populaires et positives  à destination des journaux grand public (Proctor, 2008).

Proctor appelle cela une « recherche-leurre » (Girel, 2017). « L’apparence de la science et parfois de réelles recherches scientifiques sont utilisées pour brouiller des connaissances existantes » (Girel, 2017).

Cette recherche-leurre « s’est souvent concentrée sur les « autres facteurs » (…) pour trouver d’autres causes au cancer du poumon que la fumée : les virus, le mode de vie moderne, le terrain génétique, etc. » (Girel, 2017). D’autres recherches ont été financées sur « les causes les plus insoupçonnées de la maladie, la reliant à des phénomènes tels qu’être chauve ou même être né en mars » (Girel, 2017).

Dans tous les cas, il s’agit « d’explorer d’autres causes que la cause principale, d’attaquer sur la solidité de données épidémiologiques, et parfois de fabriquer des controverses. » (Girel, 2017).

Mirowski explique que « l’une des principales techniques de l’agnotologie consiste à financer simultanément des recherches légitimes et illégitimes à partir de la même source de financement afin d’élargir la palette des explications, permettant de minimiser le sous-ensemble particulier des causes accablantes pour le client ».

L’industrie du tabac a aussi financé des études en utilisant des rats. Le problème ? Les rats ne vivent pas assez longtemps pour développer des cancers (Proctor, 2008). De ce fait, il devient impossible de prouver le lien entre tabagisme et cancer.

A chaque fois, les cigarettiers évoquaient la nécessité de faire plus de recherches, au bénéfice du doute, évoquant l’absence de preuve, notamment pour ralentir le processus de régulation. (Proctor, 2008). Tout cela allait aussi de pair avec la manipulation de l’agenda législatif (Proctor, 2008).

« On parle de création stratégique d’ignorance, que ce soit parce que des résultats importants apparaissant dans la recherche interne ont été cachés au public et aux instances réglementaires, ou parce que des éléments de connaissance fiable, chez le consommateur ou le décideur, ont été rendus douteux, et par là inutilisables » (Girel, 2017).

L’industrie a aussi recruté des historiens pour identifier une belle histoire à raconter. (Proctor, 2008) Puis, elle misait sur les relations presse et la publicité pour diffuser cette nouvelle histoire (Proctor, 2008).

Qui finance l’ignorance ?

Tabac, médicaments, aliments, technologie… L’agnotologie est utilisée dans une multitude de domaines.

Les acteurs industriels ne sont pas les seuls à utiliser l’ignorance. « Il suffit qu’un collectif soit suffisamment puissant pour peser sur le financement de la recherche, sur la communication sur la science ou sur la constitution de comité d’experts pour que l’on repère les mêmes effets. Les gouvernements peuvent évidemment exercer ce genre d’influence. » (Girel, 2017).

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Pourquoi fabriquer de l’ignorance ?

Pour certains, la connaissance représente un pouvoir mais aussi un danger (Proctor, 2008). Et certains acteurs privés ou publics ont intérêt à maintenir les citoyens, les consommateurs, le législateur… dans l’ignorance (Proctor, 2008). Pour cela, ils utilisent le doute et la désinformation pour maintenir un public dans l’incertitude. (Proctor, 2008).

L’agnotologie sert à créer un terrain favorable pour commercialiser un produit, faire voter une loi… Elle permet une plus grande acceptation de certaines informations, recommandations ou injonctions.

Pour Mirowski, l’ignorance est bonne pour l’économie de marché, voire « une condition du fonctionnement optimal du marché » (Girel, 2018).

L’ignorance peut donc être fabriquée volontairement et faire partie d’une stratégie. (Proctor, 2008).

Elle est ensuite associée aux faits alternatifs permettant de réécrire l’histoire ou une histoire.

Aujourd’hui, dans les médias ou les réseaux sociaux, une information vient en contredire une autre, sans qu’à la fin, personne ne sache laquelle des versions est « la vérité vraie ». « Le mensonge, la désinformation sans vergogne et la contradiction assumée se mêlent pour aboutir à une situation où l’intention de tromper et la simple incurie deviennent indiscernables ». (Girel, 2017). Le risque étant à la fin l’indifférence au vrai (Girel, 2017).

Paradoxalement, si nous vivons dans une société d’information, nous vivons aussi dans une ère d’ignorance qui est entretenue par la télévision mais aussi l’éducation, la pauvreté, la fatigue… (Proctor, 2008).

Dans le contexte actuel, nous pouvons nous interroger sur les conséquences économiques, politiques, sanitaires, sociales, sociétales de l’ignorance. Nous pouvons aussi nous questionner : combien coûte l’ignorance, combien rapporte-t-elle et quelles en sont les conséquences ?

De son côté, During (2013) s’interroge sur la responsabilité de chacun à l’égard de l’ignorance. « Il faudrait évoquer la manière dont citoyens, consommateurs, décideurs et chercheurs parfois, peuvent permettre, par manque de vigilance, à ces processus d’être couronnés de succès » (During, 2013).

Ainsi, il est de la responsabilité de chacun de lutter contre ce phénomène en ne se laissant pas dicter ce que l’on doit croire mais en effectuant un travail de recherche intellectuelle pour se façonner son propre avis et sa propre vérité.

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